Où trouver à Moulins en 1925 cet emblématique couvre-chef de l’époque qu’est un Borsalino ou une casquette Élina ? Évidemment rue d’Allier où, au 20, la chapellerie Gaume affirme dans ses publicités vendre « la véritable marque Borsalino ». Si vous préférez le chapeau Priola, alors rendez-vous chez Potier, toujours rue d’Allier.
Coiffé ou non d’un Borsalino, vous découvrirez en 1925 une rue au visage bien différent de celui que nous lui connaissons. Tous les espaces disponibles sont occupés par des boutiques car 81 commerces animent cette rue depuis le Palais du Vêtement près de la place d’Allier jusqu’à la confiserie Fabrègue à l’angle des Cours. Ce Palais du Vêtement, récemment construit, doté d’un vaste espace et de grandes ouvertures et Les Nouvelles Galeries, unique « grand magasin », rompent par leur modernité avec l’exiguïté imposée à la plupart des autres commerces. La diversité des commerçants présents est grande : chapeliers, modistes, tailleurs pour hommes ou pour femmes, marchands de chaussures, de tissus ou de vaisselle, deux quincaillers, deux armuriers, etc. Sans oublier Mlle Deygout, la marchande de parapluies, M. Sannajust le coutelier et Bonnet l’herboriste !
On compte aussi 3 pharmaciens, 3 bijoutiers et pas moins de 5 libraires !
Le commerce alimentaire est bien présent avec 3 épiciers, 1 boulanger, 2 bouchers, 1 charcutier et 3 marchands de primeurs dont la famille Pons qui, d’origine espagnole, propose fruits et légumes d’Espagne et d’Amérique du sud ! Sans oublier les deux maisons renommées que sont le confiseur Fabrègue qui vient de succéder à son beau-père Buck en haut de la rue et la pâtisserie Velard dont l’enseigne est encore visible en 2025.
Les étages des immeubles aussi sont occupés, voire sur-occupés. Ce sont, au recensement de 1926, près de 300 personnes qui vivent rue d’Allier dans des logements qui peuvent être quelquefois exigus et dénués de confort. Les commerçants, pour la plupart, habitent en effet avec leur famille au-dessus de leur boutique. Ils ne sont qu’une dizaine sur 81 commerces à ne pas résider sur leur lieu de travail. Et souvent dans l’appartement du commerçant, ou bien dans le même immeuble, vivent aussi les employés et domestiques. Ils sont ainsi 44 salariés des commerçants à vivre dans cette même rue dont 32 logés dans l’appartement de leur patron.
La rue d’Allier en 1925, ce sont aussi des enfants qui animent la rue par leurs jeux et leurs cris. Ils sont 49 de moins de 15 ans à vivre dans les appartements à l’étage. Quant aux cheveux blancs, ils sont bien rares ! Seules 16 personnes de plus de 65 ans sur près de 300 habitants sont recensées au printemps 1926.
Il conviendrait d’ailleurs d’écrire habitantes et non habitants ! Car on compte chez les adultes vivant rue d’Allier 152 femmes pour 96 hommes ! La présence de veuves témoigne de la saignée de la première guerre mondiale. Plusieurs commerces sont gérés exclusivement par des femmes. La forte féminisation des employés de commerce et des domestiques (les 2/3 de ces emplois) explique aussi pour partie la prépondérance féminine parmi la population vivant rue d’Allier.
Parcourant cette rue d’Allier, vous seriez sans doute aussi étonné par l’omniprésence des affiches et placards vantant les mérites de tel ou tel commerce ou produit. Un regard sur les arrière-plans des photos ou cartes postales de l’époque vous fera distinguer l’occupation du moindre espace par les « réclames ». Ceci conduit d’ailleurs la municipalité à la fin de 1925 à interdire l’affichage commercial à proximité des monuments historiques de la ville. La concurrence est vive aussi dans les pages de la presse locale où se multiplient ces « réclames » en particulier pour les promotions commerciales comme celles que mettent en place les Nouvelles Galeries en novembre 1925.
Déjà les prémisses de l’évolution à venir apparaissent. De premiers commerçants, encore très rares, quittent l’appartement au-dessus de la boutique. L’usage de l’automobile s’accroit et la dissociation entre lieu de travail, de résidence et de consommation qui va marquer la seconde moitié du XXème siècle s’annonce.
Les modes et usages évoluent condamnant des commerces à s’adapter. Les six chapeliers et modistes de la rue d’Allier savent-ils en 1925 les difficultés qui les guettent ? Borsalino et le Priola disparaîtront des vitrines de la rue d’Allier. Mais qui sait ? Peut-être y reviendront-t-ils …
Jean-Luc Galland