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11 novembre 1918 : Moulins à l’heure de l’Armistice

Département de l'Allier Moulins
Début novembre 1918, Moulins vit au rythme de la grippe espagnole. L’épidémie de grippe ne diminuant guère dans le département, le préfet a prolongé jusqu’au 17 novembre la fermeture des écoles. La rentrée scolaire 1918 n’a toujours pas eu lieu…
Le Moulinois Jean Sèque, qui tient depuis le début de la guerre un journal, note le dimanche 10 novembre que l’excitation se fait grandissante : « Les journaux ont été arrachés dès leur arrivée et c’est avec avidité que l’on cherche des nouvelles qui puissent faire plaisir. »
Mais la crainte que l’espoir soit vain hante les esprits : « Il y a de la joie dans l’air ainsi que de l’appréhension : si la révolution prenait trop d’extension en Allemagne il se pourrait qu’il y ait des difficultés pour l’établissement d’un gouvernement avec lequel les Alliés puissent traiter. Que se passerait-il ? Ce serait toujours la continuation de la tuerie… »
On se masse vers la gare, comme si l’on attendait déjà le retour de ceux qu’on a vus partir tout au long des mois précédents : « Foule de promeneurs par nos rues, surtout près de la gare et avenue Nationale, ainsi qu’au tableau des dépêches du Courrier de l’Allier, où, à chaque instant, sont apposées les nouvelles… »
Le 11 novembre Sèque note que vers dix heures dans les rues « la foule augmente, de minute en minute, joyeuse, énervée. Elle va à la préfecture, aux dépêches du Courrier et du Progrès, et on retourne à la préfecture… »
Moulins a hâte de savoir. Jean Sèque mentionne que les possesseurs locaux de postes de TSF auraient intercepté « vers cinq heures du matin la nouvelle que l’armistice était signé ».
La TSF a connu un fort développement pendant les années de guerre au sein des armées et de la marine. Mais outre les militaires et les marins, qui donc utilise la TSF en 1918 ?
Tout simplement quelques horlogers ! Car la Tour Eiffel diffuse deux fois par jour pendant cinq minutes des signaux horaires. En écoutant le signal, il est possible de régler montres et pendules à l’heure exacte de l’Observatoire de Paris ! Sont diffusés aussi les bulletins météorologiques. En 1917, les postes de réception TSF sont autorisés par le chef du service local des PTT en s’acquittant d’un droit fixe de 5 francs par an et par poste.
Ce sont donc quelques télégraphistes sans fil civils qui, le matin du 11 novembre 1918, ont dû capter en plus du signal horaire ou météo un message laissant entendre que l’armistice était signé ! Mais rien n’est encore officiel.
« Autour de la préfecture, la foule attend, un peu anxieuse l’arrivée de la nouvelle officielle et toujours rien. À midi moins le quart je rentre déjeuner, il n’y a encore rien d’officiel » Enfin à une heure, les cloches des églises se mettent à sonner à Moulins. La nouvelle est enfin arrivée !
Ruée sur les drapeaux ! « Les drapeaux sortent partout. Je cours en chercher. Ils sont déjà à des prix inabordables, pour dix francs on n’a presque rien ! J’en achète un français pour neuf francs, grand comme un mouchoir de poche et je passe par la mairie où je peux en avoir deux. Il y a foule pour en chercher. »
En cet après-midi du 11 novembre, tout Moulins est dans la rue : « La foule est de plus en plus compacte et délirante. Le chant de la Marseillaise se fait entendre partout et les cris de « vive la France » se répercutent de rue en rue… C’est une cacophonie endiablée ; on s’aborde en disant : ça y est ! »
En soirée les réjouissances se poursuivent « Retraite aux flambeaux par les artilleurs ; plutôt semblant de retraite, car les soldats étaient accaparés par des civils, surtout du genre féminin, et ce n’était plus qu’une foule grouillante et chantante qui dévalait la rue d’Allier… Les cinémas, fermés depuis quelques temps à Moulins, ont été ouverts ce soir. Tout le monde pouvait éclairer a giorno. Les cafés étaient autorisés à servir jusqu’à onze heures et ils ont fait de bonnes recettes… C’était la grande joie. »
Pour certains, la joie n’est pourtant pas de mise : « Très peu de maisons qui ne soient pas décorées de drapeaux, quelques-unes pourtant n’ont rien ; c’est que là, un fils ou un mari a donné sa vie pour la France. S’ils sont heureux dans ces maisons de voir finir la guerre, ils n’ont guère de joie au cœur… »
Jean-Luc Galland
Images et sources :
  • L’armistice 1918 : Jules Adler – Musée Charles de Bruyeres à Remiremont. (Wikicommons)
  • Une du Courrier de l’Allier du 12 novembre 1918 (archives de la SEB)
  • Toutes les citations proviennent du Journal de Jean Sèque, conservé aux archives de la Société d’Émulation du Bourbonnais, et publié en 2011 sous la direction de Sylvie Vilatte : « Moulins pendant la Grande Guerre 1914-1918 ». Le tome 2 portant sur les années 1916-1918 est encore en vente auprès de la SEB.