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1783 : le drame oublié des naufragés du régiment de Bourbonnais

Département de l'Allier
Le 7 février 1783, plus de 250 marins et soldats s’accrochent à l’épave du vaisseau « La Bourgogne ». Le navire est sur le flanc, échoué sur un banc de sable, à quelques kilomètres de la côte de l’actuel Venezuela, au sud de Curaçao. Parmi ces désespérés, désormais privés d’eau douce et de vivres, nombreux sont ceux qui appartiennent au régiment d’infanterie de Bourbonnais.
Ils ne sont pas Bourbonnais, à l’exception de 2 officiers car, malgré le nom qu’il porte depuis 1675, ce régiment n’a rien de Bourbonnais tout en ayant fait connaître le nom de cette province dans toute l’Europe et jusqu’en Amérique. Des Bourbonnais ont bien pris part à la guerre d’Indépendance en Amérique mais au sein d’autres unités.
Quand l’escadre française quitte Boston le 24 décembre 1782, un détachement du régiment de Bourbonnais sous le commandement de Gilbert de Bressolles (né à Hyds Allier) embarque sur « La Bourgogne ». Soldats et marins ignorent leur destination dont seuls les capitaines de vaisseaux ont reçu communication sous pli cacheté. Au large de Porto Rico, ils apprennent que le cap est mis sur Porto Cabello (au Venezuela) où la flotte française doit se joindre aux Espagnols avec pour perspective l’attaque de la Jamaïque anglaise. Bien que les négociations de paix avec l’Angleterre soient engagées, la cessation des combats n’est pas encore effective.
Après Curaçao, « La Bourgogne » perd le contact avec le reste de l’escadre. Dans la nuit du 3 au 4 février, par erreur de navigation, il s’échoue brutalement : le gouvernail est cassé, les voies d’eaux sont importantes. On tire au canon, on allume des feux pour tenter de prévenir d’autres vaisseaux. En vain. Au matin du 4, deux officiers sont envoyés en canot sur la côte pour tenter de trouver des secours en rejoignant Porto-Cabello.
À bord, la situation semble sans espoir. La chaloupe est inutilisable et le capitaine du navire, Champmartin, fait construire des radeaux. Le 5 février, il demande aux officiers du régiment de Bourbonnais de quitter le bord, drapeau du régiment en tête, pour préparer une installation sur la côte. Gilbert de Bressolles refuse, voulant rester avec ses hommes. Champmartin l’oblige à s’exécuter en lui intimant l’ordre au nom du Roi.
Le départ des radeaux a lieu par mer forte et dans un désordre dramatique. Craignant leur surcharge, Champmartin fait tirer sur des hommes qui, malgré ses ordres, tentent de monter à leur bord. Certains radeaux partent à la dérive, d’autres chavirent.
Les secours n’arrivant pas et le manque d’eau potable se faisant criant, on abat tous les animaux du bord pour se désaltérer avec le sang des bêtes. On construit sans relâche de nouveaux radeaux. Sur les derniers embarquent, le 6 février, le capitaine et les officiers encore présents. Plusieurs centaines d’hommes demeurent sur l’épave sans un seul officier. Par son témoignage, le capitaine Champmartin se justifie en déclarant que « la plus grande part des hommes ne sachant pas nager ne voulaient pas se hasarder » et « étaient effrayés à la vue de ce qui était arrivé aux premiers radeaux. »
Après 60 heures de marche sans répit, deux officiers parviennent à atteindre Porto Cabello d’où sont envoyés des navires de secours qui, le 7 février, sauvent 254 hommes. Les plus affaiblis meurent dans les semaines et mois qui suivent. Le nombre de victimes excède donc les 70 qui furent officiellement portés comme noyés par le capitaine dans ce naufrage. Parmi eux, de nombreux soldats du régiment de Bourbonnais et quatre de ses officiers.
Regroupés à Porto Cabello, les soldats survivants du régiment se manifestèrent en déclarant refuser de continuer à servir sous les ordres d’officiers qu’ils jugeaient les avoir abandonnés. Il fallut toute l’autorité et le savoir-faire de Vioménil, le commandant des troupes françaises, pour ramener le calme.
Il fut considéré que Gilbert de Bressolles avait été contraint par les ordres reçus et son attitude fut jugée exempte de reproches. Quant au capitaine de La Bourgogne, il fut suspendu temporairement de commandement pendant 3 mois.
Héros oublié, en l’absence d’officiers, un sergent du régiment de Bourbonnais organisa la vie sur l’épave et son évacuation. Il ne quitta le navire qu’en dernier comme il se doit à un capitaine. Héros à jamais anonyme car aucun des témoignages l’évoquant ne cite son nom.
Jean-Luc Galland
Sources :
  • Archives Nationales-Marine cote MARC/C/7/60 dossier 2 Champmartin et cote MAR/C/7/45 dossier 7 De Bressolles
  • Relation inédite du naufrage de La Bourgogne, par de Coriolis,.Revue Militaire Française », 1870, tome deuxième, pp. 262 – 289
  • « Le maréchal de camp Desandrouins » par l’abbé Gabriel Impr Lallemant 1887
  • « Journal de campagne de Claude Blanchard-Guerre d’Amérique » Bureaux de la Revue Militaire 1869.