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À Moulins en 1922 : un ring entre guerre et paix Cours de Bercy

Moulins
Le 28 mai 1922 à Moulins, la foule se presse sur le Cours de Bercy qui a vocation à accueillir à cette époque les foires et les manifestations festives de la ville. En ce dimanche, une fête foraine occupe les lieux ainsi que le cirque Rancy qui, depuis trois jours, a planté là son chapiteau. Mais c’est vers le hall de la société d’agriculture, situé sur la gauche du cours quand on se dirige vers l’Allier, que le public converge. Le vaste bâtiment (aujourd’hui disparu) est alors la plus grande salle de Moulins et 5 000 personnes s’installent autour d’un ring dressé en son centre. Au bas du ring, un ministre, les maires de Moulins et d’Yzeure, le préfet et tout ce que la ville compte de notabilités. Mais ce n’est ni pour le ministre, ni pour les autres notables que la foule se presse. Ni même pour les cantatrices venues de l ’Opéra de Paris et qui vont chanter sur ce ring ! Ni pour le champion du monde d’escrime Lucien Gaudin lui aussi prévu au programme ! Non, la foule attend le champion du monde de boxe Georges Carpentier, pour un combat exhibition contre « l’Américain » Jack Walker.
Le spectacle est le point d’orgue de la journée organisée par l’Association Générale des Mutilés de la Guerre pour recueillir des fonds. En 1922, les cicatrices de la guerre sont encore omniprésentes. La presse locale de fin mai annonce ainsi aux familles l’arrivée en gare de Moulins, le 8 juin, d’un train ramenant les corps de 81 soldats bourbonnais tués au front. La poste met en vente des timbres avec surtaxe au profit des orphelins de guerre. Le matin du 28 mai, lors d’un défilé largement suivi par la foule, hommage est rendu aux morts devant le monument de la guerre de 1870 alors situé place d’Allier ; celui de la guerre 14-18 n’étant encore qu’un projet (réalisé en 1925). Trois ans et demi après l’armistice, peu nombreux sont ceux qui, parmi cette foule, n’ont pas un proche tué ou mutilé par la guerre.
Si le public voit en Georges Carpentier la première star française du sport professionnel, nul n’ignore qu’il est aussi un ancien combattant s’étant illustré comme pilote d’avion. Sa popularité est à son sommet en cette immédiate après-guerre. Le cinéma contribue à diffuser largement l’image de ses combats. Ainsi du 24 au 28 mai 1922, le film de la récente victoire de Carpentier sur Ted Lewis est à l’affiche de chaque séance du cinéma des Variétés dans le quartier de Ville Gozet à Montluçon.
L’adversaire de Carpentier, que la presse désigne comme étant « l’Américain Jack Walker », est un inconnu pour les Moulinois. Pourtant sa destinée rencontre aussi l’histoire du siècle.
Il n’est pas Américain mais Italien et se nomme en réalité Léone Jacovacci. Né au Congo belge en 1902, d’une mère congolaise et d’un père ingénieur italien, il passe son enfance en Italie. Métis, en butte au racisme, il gagne l’Angleterre à 16 ans en se faisant passer pour un Indien de Calcutta, puis s’engage dans l’armée britannique sous le nom de Jack Douglas Walker.
Au sortir de la guerre, il devient boxeur professionnel. À partir de 1925, il tente de reprendre sa véritable identité et, en 1928, à Rome, il conquiert le titre de champion d’Europe et d’Italie en battant Mario Bosisio. Cette victoire d’un afro-italien déplaît fortement à Mussolini et il se heurte alors à l’ostracisme du régime fasciste à son encontre. Pendant la seconde guerre mondiale, il vit en France où sa compagne, Berthe Salmon, doit changer de nom pour échapper à la traque des juifs. Après-guerre, il se réinstalle en Italie et termine sa vie dans l’oubli en 1983 comme gardien d‘immeuble à Milan.
Mais l’histoire de Léone Jacovacci , alias Jack Walker, va resurgir suite au livre que lui consacre un historien italien en 2008 puis avec la diffusion du film documentaire « Il pugile del Duce » de Tony Saccuci. Le film est projeté en avant-première au Parlement européen en avril 2017 lors d’une session consacrée au racisme. Alors que le sport engage en ces années 2000 la lutte contre les préjugés racistes, l’histoire de ce boxeur prend figure de symbole.
Le ring du Cours de Bercy le 28 mai 1922 nous a ainsi conduit jusqu’au Parlement européen en 2017 ! Illustration de ces événements locaux qui, au-delà de l’anecdote, nous laissent entrevoir le cheminement de l’histoire.
Jean-Luc Galland
Illustrations :
  • Cours de Bercy un jour de foire (hall de l’agriculture à gauche) (collection particulière)
  • Jack Walker (Source gallica.bnf.fr / BnF)
  • Georges Carpentier boxeur et pilote d’avion pendant la guerre (Source gallica.bnf.fr / BnF)
Références et sources
  • Presse nationale et locale de mai-juin 1922 – presse ancienne SEB, archives départementales de l’Allier et gallica.bnf.fr / BnF (références précises auprès de la SEB)
« Il pugile del Duce » film de Tony Saccuci -2017
« Nero di Roma . Storia di Leone Jacovacci, l’invincibile mulatto italico » Mauro Valeri éditions Palombi, 2008