La trémie située à l’extrémité du pont Régemortes aura 50 ans en 2024. Elle est l’élément le plus emblématique du patrimoine moulinois datant d’une époque marquée par le règne sans partage de l’automobile. Au tournant des années 60 et 70 la plupart des villes s‘adaptent à l’automobile. Paris se dote d’une voie express sur berge en rive droite en 1967 et débat en 1971 de celle de la rive gauche et d’une pénétrante autoroutière nord/sud. À Lyon les travaux de traversée de Perrache par l’autoroute s’engagent en 1972, alors que Chalon-sur-Saône et Saint-Chamond aménagent des autoponts pour tenter de limiter les bouchons, également en 1971.
Les propos du directeur général des services de la ville de Moulins dans le bulletin municipal de 1971 reflètent parfaitement ce temps de l’automobile reine : « Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore le développement de l’automobile est un fait. Nous devons le constater et en tirer les conséquences ». « Que faire pour éviter la paralysie… élargir les chaussées, autant que faire se pourra, augmenter les places de stationnement, instituer le stationnement payant… ». Et de conclure « la conservation des vestiges du passé, qui ne sont parfois que de simples souvenirs, ne doit point paralyser l’expansion de la ville. »
En 1971 les axes routiers nord-sud (RN7, RN9) et est-ouest (RN73, RN145) se croisent au cœur de Moulins. Le contournement de l’agglomération n’est pas encore d’actualité et la future RCEA n’est qu’un projet (le pont RCEA de Chemilly ouvrira en 1977). Le pont Régemortes est un point névralgique, dont les accès sont régulièrement engorgés. La part du trafic poids-lourds est croissante. En 5 ans, de 1965 à 1970, le nombre de poids-lourds traversant Moulins a plus que doublé ! Et la traversée de Moulins lors des grands départs estivaux semble interminable à nombre de vacanciers
Trois projets sont étudiés par les services de l’État : un autopont, une voie sur berge, ou une trémie. L’hypothèse d’un autopont est rapidement exclue car il n’est pas envisageable de créer un tel ouvrage dans le prolongement d’un pont protégé au titre des monuments historiques ! En mai 1971, le conseil municipal de Moulins, présidé par son nouveau maire Hector Rolland depuis l’élection de mars, adopte donc, sur proposition de l’État, la réalisation d’une voie sur berge qui partirait de la rue Félix Mathé et aboutirait quai d’Allier après passage sous la première arche du pont deux mètres au-dessus du niveau du radier.
Mais, en janvier 1972, le conseil municipal revient sur cette décision au motif que « pour supprimer l’intersection du trafic en tête de pont on créerait deux points de cisaillement, un en amont, un en aval du pont… » et opte pour la réalisation d’une trémie.
Des travaux préliminaires affectent le pont lui-même. Afin de donner toute sa place à l’automobile on réduit la largeur des trottoirs pour aménager une troisième voie de circulation. On démolit les bâtiments d’octroi présents en tête de pont. Cette destruction soulève de vives critiques de défenseurs du patrimoine.
La réalisation des voies latérales à la trémie implique un remblaiement entre la rivière et la levée pour disposer d’une largeur de voierie suffisante. Cinq mille tonnes d’enrochements sont mis en œuvre à cette fin en 1973.
Le chantier donne lieu également à de considérables travaux affectant les réseaux d’eau, d’assainissement, de gaz et d’électricité. Ce chantier devant rendre la circulation temporairement plus difficile sur le pont, le maire de Moulins a bien tenté d’obtenir de l’armée la mise à disposition d’un pont provisoire le temps nécessaire aux travaux. Demande refusée en mai 1973 « compte tenu des contraintes techniques et charges militaires… ».
En 1974 s’engage la phase de terrassement avec le décaissement du passage sous la tête de pont après mise en place d’un rideau de palplanches métalliques, puis la réalisation des murs de soutènement et de la dalle de béton supportant le passage supérieur. Ce chantier spectaculaire suscite alors la curiosité des Moulinois !
Fin novembre 1974 la trémie est ouverte à la circulation. Elle devient emblématique de la nouvelle image que se donne la ville puisqu’elle figure de manière stylisée en couverture du bulletin municipal de 1973 à 1976 ! Mais, dès 1975, une pétition de riverains considère « que le bouchon n’a été que déplacé vers l’avenue d’Orvilliers… ». Et le débat va s’engager sur l’opportunité et le tracé d’une rocade de contournement de l’agglomération et, qui sait peut-être un jour, d’un second pont…
Jean-luc Galland