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Charles DUBOST – 1905/1991- Un moulinois procureur général adjoint au procès de Nuremberg

Moulins Personnages historiques

Inconnu du grand public, M. Charles Dubost était né le 18 mai 1905 à Moulins où il avait fait sa classe terminale en Math. Elem. au Lycée Banville, avant d’entreprendre des études juridiques et de devenir avocat en 1931, puis d’assumer  les fonctions de Procureur de la République à Pontarlier. Sous l’occupation, il entre dans la Résistance et dirige un réseau local de renseignements. Fin 1944, il est avocat général à la Cour d’Aix-en-Provence et en même temps Commissaire du gouvernement près la Cour de justice de Marseille. Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur et reçoit la Médaille de la Résistance le 24 avril 1945.

En novembre 1945, il devient procureur général adjoint au sein de la délégation représentant le ministère public français devant le Tribunal de Nuremberg chargé de juger les plus grands criminels nazis encore vivants. Lorsque le procureur général M. François de Menthon quittera ses fonctions, lors du départ du général de Gaulle en février 1946, M. Dubost dirigera alors l’accusation française jusqu’à l’arrivée de M. Auguste Champetier de Ribes, l’un des 80 parlementaires à avoir voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Parmi les autres adjoints de la délégation figurent deux personnalités connues : MM. Edgar Faure et Paul Coste-Floret.

M. Charles Dubost développera l’accusation française en soutenant les chefs de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » : « la conscience des peuples, hier asservis et torturés dans leur âme et dans leur chair, vous demande de juger et de condamner la plus monstrueuse entreprise de barbarie de tous les temps ». Il cite à la barre d’accablants témoignages, notamment Mme Marie-Claude Vaillant-Couturier (résistante communiste déportée à Auschwitz-Birkenau, qui témoigna également en 1987 contre Klaus Barbie), dont le témoignage à charge fera date.

On considère aujourd’hui que la délégation française a dans l’ensemble bien rempli sa mission bien qu’elle ait travaillé sous la pression permanente. Elle produisit des preuves pertinentes devant le tribunal et en tira des conclusions convaincantes, comme le montre la confirmation de la plupart des inculpations françaises dans le verdict à la fin du procès. À juste titre, François de Menthon parla plus tard d’une « contribution très utile à l’accusation ».

20 ans environ après le procès, Charles Dubost en témoignera pendant deux heures, sans aucune note, lors d’une conférence magistrale devant les élèves des classes terminales de son ancien lycée. Il a abordé successivement la naissance et la composition du tribunal, l’importance du procureur américain Jackson et les quatre chefs d’accusation : complot, crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité .

Il livra ensuite des portraits acérés de chacun des accusés, en particulier de Goering, Hess, Keitel , Speer , Schacht, Kaltenbrunner. Il  décrivit les interrogatoires, déroula l’accusation de chacun des quatre procureurs (Etats-Unis, URSS , Grande-Bretagne et France), insistant sur les points forts et prioritaires développés par chaque pays .

Enfin dans un dernier temps , il rappela les sentences en commentant les arguments retenus par le tribunal pour chaque accusé , et les réactions de ces accusés .

Charles Dubost avait fait revivre avec une intensité et une force uniques ce procès historique dont il avait été un acteur majeur.

Après la conférence, le procureur demanda à rencontrer un jeune condisciple de la classe de Math. Elem. à laquelle il avait appartenu une vingtaine d’années plus tôt. A celui-ci, il dit en lui serrant longuement la main : « Jeune homme, par cette poignée de mains, je vous transmets la mémoire de ces évènements afin qu’ils ne se renouvèlent jamais ». L’élève que j’étais, très fortement impressionné, l’assura de son engagement.

Soixante plus tard, lors de l’exposition labellisée sur la commémoration des 80 ans de la « Libération du Nord Allier » à Cérilly en aout 2024, j’ai présenté un roll up sur le rôle du moulinois Charles Dubost au procès des hauts dignitaires nazis à Nuremberg. Ce panneau a attiré l’attention du quotidien « La Montagne » qui le 5 aout 2024 en a fait sa couverture et son dossier principal. Près de 80 ans après le procès, Charles Dubost sortait enfin de l’oubli.

La date précise de son séjour à Moulins en 1963 a été retrouvée. En effet, il a donné une conférence le samedi 26 octobre à la Société d’Emulation du Bourbonnais qui est disponible dans le premier bulletin trimestriel de 1964. Son intervention au Lycée Banville évoquée plus haut et dans un livre que j’ai publié en 2018 puis en 2024, et qui est un souvenir personnel marquant, date du vendredi 25 octobre 1963 à 17 heures.

Enfin, dernière précision, en novembre 1945 quand le procès des grands criminels de guerre débuta, l’effectif de la délégation française était de 62 personnes. À la fin de l’année, la délégation atteignit sa taille maximale de 100 employés et comprenait toutes les personnes qui participaient directement au procès et qui avaient le statut de salariés du ministère de la Justice : les juges, les procureurs, leurs assistants, les traducteurs et interprètes, les secrétaires et sténotypistes. De plus, un détachement militaire de 85 soldats avait été déployé à Nuremberg pour garantir la sécurité de la délégation française en janvier 1946.

Un soldat (ancien F.F.I. du Cher) avait la charge permanente de la sécurité du procureur général adjoint Charles Dubost. Ce soldat a été retrouvé par le plus complet hasard en 1998. M. Guy Hemery, que j’ai bien connu, a conservé toute sa vie une vive admiration pour Charles Dubost.

C’est sans aucun doute, le regard admiratif de Guy Hemery, que nous devons collectivement porter sur Charles Dubost.

Alexandre Bessard