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Jacquemart

Moulins
La Mal-Coiffée, le pavillon Anne de Beaujeu et la Cathédrale sont les monuments de Moulins les plus connus. Mais il faut aussi ajouter Jacquemart qui, en plus, est considéré comme le pôle d’attraction des visiteurs. On le voit surtout pendant la période estivale quand, sur le coup de midi et même avant dans la matinée, des touristes attendent sur les marches de l’hôtel de ville que la famille Jacquemart frappe sur les cloches, les parents sur la grosse, les enfants sur les deux petites.
Dès 1400, la ville comptait deux tours-horloges : celle des Halles (celles-ci se trouvaient entre la rue François Péron et la rue Grenier) et la Geneste située sans preuve certaine à l’angle de la rue de Berwick et de la rue de Paris. La tour-horloge des Halles fut démolie en 1405 et la Geneste abandonnée vers 1407, les réparations étant inopérantes et onéreuses.
En 1409, une nouvelle tour fut bâtie à l’emplacement de la tour actuelle. A partir de 1451, les consuls de Moulins s’activèrent pour que la ville soit dotée d’une horloge perfectionnée telle qu’on les fabriquait en Flandre depuis peu. Le financement de cette horloge fut assuré par un impôt levé sur les habitants de Moulins, Saint-Bonnet, Yzeure, Avermes, Trevol, Bressolles, Coulandon et Neuvy. La tour achevée en 1453 reçut un couronnement de charpente en 1454 et ses derniers accessoires en 1455. Le haut du monument était différent de celui qui existe aujourd’hui : un clocher en ardoises d’Orléans surmonté d’une fine aiguille coiffait l’ensemble de la tour. Il abritait une cloche ornée des armes du duc, de la duchesse et de la ville. A côté de la cloche et relié par une chaîne au mécanisme de l’horloge se dressait sur la plateforme un sonneur articulé en fer peint.
Tout alla bien pendant deux siècles. Hélas ! cette période heureuse prit fin dans la nuit du 20 au 21 novembre 1655. Un incendie se déclara dans le voisinage de la Collégiale, ravagea une partie des Halles (entre l’actuelle rue François Péron et la rue Grenier) ainsi que la partie haute de la Tour de l’horloge. De ce fait, la cloche de 1452 fondit dans le brasier et le sonneur en fer peint fut détruit.
Mais Jacquemart allait renaître de ses cendres. On fit diligence pour réparer le désastre. La toiture surmontée de sa fine aiguille fut remplacée par une toiture à l’impériale et une haute lanterne octogonale. Les moulinois ne voulurent plus un seul sonneur mais toute une famille :
•Jacquemart, le père,
•Jacquette, la mère,
•Jacquelin, le fils,
•Jacqueline, la fille.
Les parents furent dotés d’une grosse cloche de 4250 kg pour sonner les heures ; elle a été baptisée le 18 septembre 1656 sous le parrainage de la reine-mère Anne d’Autriche. Quant aux enfants, ils eurent chacun une cloche, l’une de 125 kg, l’autre de 150 kg, pour sonner les quarts d’heure.
Après l’incendie de 1655 un peu plus d’un siècle se passa sans trop de problèmes. Par contre, peu avant la Révolution et tout au long du XIXe siècle, de nombreux travaux de réparations furent nécessaires.
En 1871, les automates cessèrent de fonctionner et il a fallu attendre 1932 pour que la municipalité vote des crédits affectés au financement de leur remise en marche. Le 23 octobre de la même année, à 16 heures, devant une foule de 6000 personnes, la famille Jacquemart reprit son service en sonnant et pendant 14 ans, sans problèmes, jusqu’à la nuit tragique du 12 au 13 mai 1946. Il était environ minuit quand les moulinois furent alertés par un appel lugubre de la sirène de la ville : Jacquemart était en feu. Retenus par des barrages de police, une foule de curieux se pressait aux débouchés de la place de l’Hotel de Ville et du carrefour de la rue d’Allier, pour assister, impuissants et angoissés, à l’agonie du « Doyen des Moulinois ». Des gerbes d’étincelles poussées par un vent venu de l’est tombaient sur les toitures de tuiles et d’ardoises du quartier historique. Fort heureusement, une pluie fine intermittente permit de limiter l’étendue du désastre.
Quelle fut donc l’origine de cet incendie ?
Pour fêter le premier anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, la municipalité, sans d’ailleurs avoir demandé l’autorisation au service des Monuments historiques, avait décidé d’embraser le haut de la tour par des feux de Bengale. Vers 21h30, le pompier de service, peut-être sur un ordre mal interprété ou insuffisamment précis, alluma le feu, non pas sur la galerie de pierre, mais sur la plateforme des automates en bois recouverts de plomb. Après les quatre minutes de combustion des feux de Bengale, il écrasa les culots sous ses pieds et s’en alla sans aucune précaution de plus.
Vers 23h30, un passant remarquant des flammes en haut de la tour, donna l’alerte. Aussitôt, les pompiers arrivèrent sur place alors que les agents de police prévenaient les habitants du quartier du danger qui menaçait. Les soldats du feu essayèrent de monter dans l’escalier mais furent arrêtés par le plomb fondu qui commençait à tomber. De plus, ils n’étaient pas pourvus de matériel moderne (grande échelle, tenues ignifugées…). A minuit et demi, le clocheton supérieur était en flammes et s’inclinait peu à peu. A minuit 45, les enfants Jacquemart s’acquittèrent une dernière fois de leur fonction de sonneurs sur les petites cloches. Quelques instants après, toute la masse embrasée du campanile s’effondra côté rue de l’Horloge, entraînant dans sa chute la grosse cloche de près de 5 tonnes et les automates. Le 13 mai dès l’aube, ce fut un défilé interminable des habitants de Moulins et des communes environnantes. Beaucoup avaient les larmes aux yeux. La tristesse alternait avec la colère, des jugements sévères étaient prononcés dans les groupes.
Moulins ne pouvait pas se passer de son beffroi et de la famille de sonneurs qui l’habitait. La partie haute de la tour fut reconstruite à l’identique, les cloches furent refondues et retrouvèrent la même tonalité que celles qui avaient été brisées. Les personnages retrouvèrent les mêmes silhouettes mais ils sont maintenant en cuivre repoussé.
L’histoire de Jacquemart ne serait pas complète si l’on ne parlait pas de sa réplique en Angleterre, plus précisément à Lougborough, ville située à environ 200 km au nord-ouest de Londres. Dans cette ville se dresse une haute tour, assez fidèlement copiée sur le Jacquemart moulinois. Elle a été construite en souvenir des enfants de cette localité anglaise tombés au cours de la première guerre mondiale. L’architecte chargé d’en dresser les plans, se souvint du Jacquemart remarqué lors d’un passage à Moulins. Il ne trouva rien de mieux que de le reproduire, mais en briques. La première pierre a été posée le 22 janvier 1922. Si le Jacquemart anglais possède un carillon de 47 cloches, il n’a pas d’automates et comme le mentionne M. Marcel Génermont : « Beaucoup de finesses de construction de notre Jacquemart manquent à ce frère lointain qui n’est qu’un faux-frère ».
Georges Chatard
Bibliographie :
Marcel Génermont- Jacquemart en feu- Moulins-Crépin-Leblond-éditeur-1946.