L’accident tragique du dirigeable « République », le samedi 25 septembre 1909 est bien connu de tous : parti de Lapalisse au matin, il survole Moulins puis s’écrase vers 8 h 30 à Trévol, vers l’entrée du château d’Avrilly. La catastrophe est causée par une pale de l’hélice qui déchire l’enveloppe en se brisant. Cet article évoque un mode de médiatisation original de ce fait divers : une chanson.
Dès le lendemain, la presse locale se fait l’écho de l’accident, observé à la jumelle depuis la cathédrale de Moulins, et par M. le comte de Chabannes la Palice, propriétaire du château d’Avrilly. Dès le lundi, le projet du monument commémoratif est lancé. Dans la semaine qui suit, des cartes-photo sont publiées. En voici une, datée du 5 octobre 1909, en vente en ligne actuellement :
Ill 1 : Carte-Photo de l’accident du République
La complainte sur l’accident, titrée « La catastrophe du Dirigeable » a dû paraitre dans la quinzaine qui suit l’événement, comme c’est l’usage pour les chansons d’actualité. Elle figure sur une feuille intitulée « Le gai passe-temps – Recueil de chansons variées » publiée par Louis-Modeste Simonet (1854-1933) à Saint-Amand-Montrond. À côté de bluettes et romances, on y trouve aussi une complainte sur le crime de Monpertuis, survenu le 26 août 1909 à Juigné-sur-Sarthe (72), ce qui confirme la parution à l’automne 1909. Voici les quatre couplets de cette chanson, sur l’air de La Paimpolaise :
1.
C’est un malheur épouvantable
Qui jette la désolation
Les braves soldats du Dirigeable
Soutiens de notre nation
Sont tous tombés morts
Et leurs pauvres corps
Relevés tout près d’un passage
A Trévol près de Moulins
C’est là-bas dans ce parage
Que, tous quatre, ils trouvèrent leur fin
2.
En s’exerçant pour la patrie
Ces braves et vaillants soldats
Succombèrent dans une avarie
Produite dans l’aérostat
Tous les gens de cœur
Ont versé des pleurs
Pour ces braves enfants de la France
Morts en faisant tous leur devoir
De l’armée c’était l’espérance,
De la patrie c’était l’espoir.
3.
Le travail, la persévérance
Furent la cause de leur malheur
Ce sont des victimes de la science,
Tous ces braves soldats de cœur
La France n’oubliera
Jamais ces soldats
La patrie est reconnaissante
Ali souvenir du drame affreux
C’est le cœur plein d’épouvante
Que nous leur disons tous adieu
4
Le peuple de la France entière
Suivait avec attention
Les grandes manœuvres guerrières
De La Palisse, des environs
Tout le Bourbonnais
L’armée acclamait
Maudit l’accident effroyable
Qui jeta la désolation
Que leurs obsèques si admirables
Soient polir eux une consolation
Elle est signée « Robbe Alfred ». Nous connaissons six complaintes criminelles de ce chanteur ambulant, toutes sur l’air de La Paimpolaise, et publiées par L.-M. Simonet. L’examen des faits-divers chansonnés par cet homme-là précise sa zone de chalandise : Allier – crimes de Souvigny (1907) et de Morat près Cusset (1904) –, Cher – l’enfant martyr de Saint-Amand-Montrond (1904) –, Indre-et-Loire – crime de Saint-Flovier (1902). Mais c’est sa couverture du « Double assassinat de Saint-Germain-l’Espinasse » dans la Loire en 1909 qui est le plus intéressant pour notre propos : les faits ont eu lieu le 18 avril 1909, et leur auteur Henri Riboulet est condamné à mort à Montbrison le 14 septembre de la même année. Les complaintes écrites à ces deux occasions par Alfred Robbe prouvent donc sa présence dans les environs à l’été 1909. Lapalisse n’est pas loin de la Loire, et peut-être notre chanteur a-t-il appris là-bas le drame.
Ill. 2 : Raison sociale de L.-M. Simonet
Ensuite, il lui suffit d’expédier les paroles à L.-M. Simonet avec un mandat-poste, et il reçoit par retour du courrier une brassée de feuilles, où la chanson figure, insérée dans un recueil d’autres textes. L.-M. Simonet promet pis que pendre à qui publierait des contrefaçons des chansons qu’il édite – voir son cartouche ci-dessus – en omettant de préciser que tout texte écrit sur La Paimpolaise constitue en lui-même une contrefaçon ! Il sera d’ailleurs poursuivi pour ce motif par la Société des auteurs en 1911.
Cette thématique des « chansons d’actualité » est méconnue, y compris de nombre d’historiens. La raison en est assez simple : ces publications ignorent superbement le dépôt légal, signifiant en conséquence leur absence des fonds d’archives et des bibliothèques. Si l’on rajoute les difficultés d’indexation de ces éphémères, « non-livres » véritables casse-tête pour les bibliothécaires, ceci explique leur non prise en compte parmi les sources convoquées pour traiter du traitement médiatique de l’actualité au fil du temps. Seul des érudits et collectionneurs ont conservé ces fragiles documents. Il va sans dire que la Société d’Émulation du Bourbonnais en possède dans ses collections…
Mais cette chanson-là – à moi offerte par Jean-Philippe Rannaud, que je remercie – mérite bien d’être conservée, comme les cartes postales, le monument d’Avrilly, et quatre rues d’Yzeure, non ?
J. F. « Maxou » HEINTZEN