De nombreux Moulinois ont connu ou du moins entendu parler de « la Marie Féraud ».
Mais qui était cette figure excentrique qui se déplaçait à vélo avec une peau de bique sur le dos ?
Marie MIREUR est née à Marseille le 6 mars 1892 d’un père médecin réputé et homme public de cette cité phocéenne.
Comme elle le dit dans le livre qu’elle a écrit « une femme de cheval » : nous aurions dû être riches…
En effet, son père Hippolyte MIREUR, très engagé dans la politique de santé et d’hygiène, adjoint au maire de Marseille, est un grand amateur d’art. En 1900, il cède l’ensemble de ses collections pour financer une œuvre majeure : le dictionnaire des ventes d’art faites en France et à l’étranger entre 1700 et 1900. Sept volumes du MIREUR seront publiés entre 1901 et 1912. Le coût de cette entreprise fut si élevé qu’Hippolyte Mireur dut s’endetter, si bien qu’à sa mort en 1914 ses enfants durent refuser la succession.
Marie est la dernière enfant de cette famille aisée et grandit avec sa sœur et ses 5 frères entre Marseille et le Var où les siens possèdent une propriété. A l’âge de 7 ans, elle a le malheur de perdre sa mère.
Il faut aussi noter qu’à cette famille de notables, appartient François MIREUR (grand oncle d’Hippolyte), médecin militaire et héros des armées napoléoniennes, qui fut un des premiers à entonner La Marseillaise. Il meurt pendant la campagne d’Egypte en 1798 et son nom est inscrit sous l’arc de triomphe à Paris.
En 1910, à l’âge de 18 ans, elle épouse Jules Féraud, avocat à la cour de Paris. Avec lui, elle découvre la vie et les théâtres parisiens. Mais elle devient veuve après 6 ans de mariage seulement.
A partir de ce moment, elle se consacre à sa passion du cheval et parcourt la Provence qu’elle a retrouvée, pendant de longues journées.
Lors de la première guerre mondiale, elle se dévoue auprès de malades puis soigne sa belle-mère qui lui laisse en héritage un château Bas Alpin qu’elle vendra.
Elle commence alors une vie nomade sur la route avec des chevaux.
Puis vient la période des raids équestres qui fut selon elle la meilleure période de sa vie.
Vexée de son échec dans le premier Paris- Cannes qu’elle dut terminer à vélo, elle veut prendre sa revanche sur le sort en tentant en 1928 le raid Paris-Rome. Le parcours est effectué en 10 jours avec son cheval « Stuart », un rescapé des courses de trot. Accueil enthousiaste et réceptions de bienvenue s’enchaînent en Italie par tous les notables du pays.
C’est alors au hasard de ses rencontres dans ce monde du cheval qu’elle affectionne tant qu’elle arrive à Moulins.
Elle s’installe à Avermes où elle mène une vie libre entourée de ses chevaux.
Là, elle y fréquente entraîneurs, jockeys et propriétaires qu’elle retrouve au grand Café ou au champ de courses. Elle se plaît dans ce monde d’hommes. Comme elle le mentionne dans son livre elle a horreur de la société des femmes parce qu’elle a horreur de parler pour ne rien dire. Elle vit solitaire chez elle dans la seule compagnie de ses chevaux qui eux ne la trahiront jamais.
Entre 1933 et 1935, Mary Féraud, c’est son nom de plume, écrit 2 livres : Stuart cheval raconte et Une femme de cheval.
A cette époque en 1934, éclate en France, le scandale politico-économique que l’on appelle « l’affaire Stavisky ». L’enquête menée par le conseiller Albert Prince met au jour de nombreuses relations entretenues par l’escroc dans les milieux de la police, de la presse et de la justice. Stavisky est retrouvé agonisant le 8 janvier 1934 à Chamonix. Le Canard Enchainé titre : Stavisky s’est suicidé d’une balle tirée à 3 mètres. Voilà ce que c’est que d’avoir le bras long…
Albert Prince est retrouvé mort, mystérieusement assassiné, attaché aux rails à proximité de Dijon le 20 février 1934.
Lors du procès de cette affaire, le préfet des Basses Pyrénées est à la barre des témoins à la Cour d’assises de Paris en décembre 1935. Il s’agit de Robert MIREUR et c’est le frère de Marie Féraud.
Cette affaire nous relie au Bourbonnais puisque la famille Prince a une propriété sur Yzeure et c’est dans le cimetière de cette commune que sera inhumé le conseiller Prince.
Pour Marie Féraud, l’argent commence à manquer. Elle ouvre alors à partir de 1936 un petit débit de boissons sur Avermes.
Cela lui vaudra d’ailleurs une incarcération d’un mois à la Mal-Coiffée en 1941 pour fermeture tardive et infraction aux règles de police de cette époque, rappelons que nous sommes en zone occupée. Elle l’explique dans sa lettre à Maître Tinland en date du 1er octobre 1944 :
«Le 11 février 1941 à 23 heures j’avais chez moi quelques clients amis alors que la fermeture devait être à 22 heures. Une patrouille passe, demande une consommation que je lui servis (je ne pouvais faire autrement puisque les français consommaient..). Le lendemain matin à 8 h 1/2, deux gendarmes arrivaient chez moi, me disant de les suivre…
Je fus interrogée à la Feldgendarmerie par une petite interprète brune qui me faisait l’effet de se moquer de moi et de raconter à ses chefs qui ne parlaient pas français tout ce qu’elle voulait… et on m’emmena à la Mal-Coiffée. Deux jours après je fus jugée et me vis condamnée à 4 semaines de prison : fermeture tardive, infraction aux règles de police. »
Après cet emprisonnement qui la marquera durablement, Marie Féraud s’installe sur la commune de Trévol, au Mas de Demou, c’est le retour à la terre. Elle y ouvre un petit café qu’elle baptise « Le Petit Trotteur ». C’est là que finira son aventure bourbonnaise dans les années soixante dix. Après l’incendie de sa maison, un de ses frères la ramène sur leurs terres natales qu’elle avait quittées depuis si longtemps. Elle décède au Muy, dans le Var le 19 mai 1976, c’est là qu’elle est inhumée avec sa famille.Si beaucoup l’ont considérée comme une femme originale, cette femme au style décalé, a vécu librement, sans contraintes, entourée de ses chevaux qu’elle aimait plus que tous.
Christine MORER