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Moulins, fin XIXème ou « l’élégance dans l’équilibre »…

Moulins
La ville de « l’élégance dans l’équilibre », telle est l’image de Moulins dans les années 1890 aux yeux de la future romancière Yvette Prost. Elle est alors élève de l’école normale puis jeune institutrice affectée à Moulins.
C’est du moins le souvenir qu’elle livre à ses lecteurs par la nouvelle qui suit, publiée en 1924. Alors âgée de 50 ans, elle est devenue une auteure dont les romans, nouvelles et contes connaissent le succès notamment auprès du public féminin.
Près d’un siècle plus tard ce texte, peu connu, demeure un des rares témoignages disponibles sur la vision et le souvenir que pouvait conserver une femme des années 1920 de sa jeunesse à Moulins, au tournant des XIXème et XXème siècles.

MOULINS

« Moulins ! il fut un temps où j’ai cru que la vie me serait impossible loin de ton doux ciel nuancé. Et la vie – qui n’est pas toujours un poème – m’a emportée vers des horizons plus heurtés où j’ai gardé longtemps le regret de ta sobre élégance.
Quel charme jamais retrouvé avaient là-bas les beaux matins d’été ! Les vieux tilleuls des cours laissaient filtrer une admirable lumière verte et dorée ; les flèches gris pâle de la cathédrale, les flèches plus sombres de Saint-Pierre se découpaient sur un azur laiteux ; une messe matinale sonnait gaiement ; les rues paresseuses s’éveillaient sans hâte sous le jet de l’arroseur ; le chevrier pyrénéen, venu avec les hirondelles, promenait son troupeau brun le long des trottoirs de la rue d’Allier, et j’ai encore dans l’oreille la ritournelle nostalgique de son fifre…
Alors la circulation, moins intense qu’aujourd’hui, ne troublait guère la noble tranquillité de la ville. Il y avait moins de poussière, moins de roulement de véhicules ; la lumière y était d’une qualité plus fine, et souvent l’on y pouvait jouir d’un précieux silence. Le long des avenues aristocratiques, aux belles heures de l’été, rien n’interrompait les chants d’oiseaux dans les arbres qui débordent les murs. Que de pas j’ai perdus à travers la ville aimée qui fut longtemps le domaine de mes flâneries ! C’était l’épaisse voûte verte des tilleuls dans une odeur de miel et de feuilles chauffées ; c’était le square fleuri où, parmi les corbeilles de roses du Bengale, un Banville de bronze rêve à sa Font-Georges, tandis que le couple de cygnes fait sempiternellement le tour du bassin triste…
C’était la séduction des magasins où se révèle une si sûre élégance, les voix du passé qui murmurent dans l’ombre de la cathédrale, sur l’antique et charmante place de l’Ancien-Palais, dans la sonnerie de Jacquemart… C’étaient les libres courses aux bords plats de l’Allier quand les roses et les ors du soir achèvent de s’éteindre dans les gris très doux du ciel et de l’eau ; ou bien c’était encore, par les après-midis brûlants, la fraîcheur cherchée dans la monacale rue de Paris où le dôme des Carmélites scintillait seul sous le grand soleil morne, où la solitude était à peine troublée par quelque soutane de prêtre se hâtant vers le séminaire.
La ville chère ! J’en ai possédé avec des joies silencieuses la sobre architecture et les couleurs discrètes, l’atmosphère légère et spirituelle, l’âme subtile. Son charme a si longtemps enchanté mon esprit et mes sens que peut-être m’a-t-il lentement modifiée. Moulins, c’est l’élégance dans l’équilibre, la grâce dans la sagesse et la raison. Moins harmonieusement équilibré est le pays où mes yeux se sont ouverts : là, les parfums des vignes en fleur sous le soleil, l’odeur des pressoirs en automne font monter au cerveau de troublantes vapeurs… Moulins, si pondéré et si fin, m’a peut-être enseigné la mesure.»
Yvette Prost
Yvette Prost, née à Marcigny (71) en 1874, est une auteure bourbonnaise. Arrivée à Gannat à l’âge de 12 ans, elle est élève à l’école Normale de Moulins où elle commence sa carrière. Elle enseigne ensuite notamment une vingtaine d’année à Lapalisse puis, retraitée, vit presque 20 ans à Cusset où elle décède en 1949.
Elle a publié 20 romans (dont certains ont été primés et/ou traduits et édités à l’étranger) et de nombreux contes et nouvelles dans les journaux populaires de l’époque.
La bibliothèque de la SEB possède huit de ses romans.
Présentation par Christine Galland
Source :
Moulins, nouvelle, in PROST Yvette Catherine Aubier, roman, réédition « Pré-Textes », 2020, 295 p. (consultable à la S.E.B.)
Biographie et la bibliographie d’Yvette Prost :
– Catherine Aubier, op. cit., p.270-275
– FROMENT Jean-Marie, Cahiers Bourbonnais n°201, 2007, p.63-66 (consultable à la S.E.B.)
Photos : collections privées