En cette année 1851, ils sont deux gamins âgés d’une dizaine d’années au pied du Jacquemart à se nommer Guillaumin mais n’ont aucun lien familial. Armand vit rue de l’Horloge où son père est marchand-tailleur alors que Claude habite à quelques pas, place de l’Horloge.
Armand (1841-1927) est considéré de nos jours comme un des principaux peintres impressionnistes, membre de l’école de Crozant. Mais qui connaît encore Claude Guillaumin (1842-1927) ?
Pourtant, sous le nom d’artiste d’Édouard Pépin, il figure parmi les principaux caricaturistes français de la seconde moitié du XIXème siècle. Quiconque s’intéresse à l’histoire politique de cette époque découvrira tel ou tel épisode évoqué par une caricature signée Pépin. Après des débuts en 1866 à « La Lune » puis successivement à « La Rue » de Jules Vallès et à « L’Éclipse », il dirige en 1881 le très anticlérical « Lampion de Berluron ». À partir du milieu années 1880, Pépin assure régulièrement les « unes » du journal satiriste « Le Grelot ». Personne ne trouve grâce sous son crayon acerbe qui raille monarchistes, bonapartistes, boulangistes, nationalistes, républicains opportunistes, socialistes sans jamais se démettre d’un anticléricalisme virulent. À la fin du siècle, après avoir commis des premières caricatures violentes, voire antisémites, de Dreyfus, Pépin refuse la ligne antidreyfusarde du « Grelot » et rallie le camp des défenseurs de Dreyfus. Il fonde alors son propre hebdomadaire satiriste « Le Fouet » qui cessera de paraître en 1900.
L’esprit rebelle et la rage qui guident le crayon de Pépin trouvent sans doute source dans son enfance moulinoise. Car le petit Claude vit alors avec un père menuisier, et un grand père, tous deux nommés Jean Guillaumin, qui sont des animateurs de la société secrète républicaine locale. Ses grands-parents maternels tiennent un cabaret place de l’Horloge. Le cabinet de lecture de la veuve Bouquerot, où on lit et commente la presse, avec possibilité de louer des livres, jouxte l’appartement des Guillaumin. Ils tentent de s’opposer au coup d’État du 2 décembre 1851 en rassemblant quelques républicains moulinois. Ils échouent, sont internés à la Malcoiffée puis condamnés à la transportation en Algérie. Le grand père meurt pendant son transfert alors que le père, après quelques mois en Algérie, bénéficie de la grâce du 23 février 1853.
Pépin se souvient inévitablement du 2 décembre lorsqu’il dessine la caricature ci-jointe à l’occasion de la mort de Victor Hugo, le plus célèbre des proscrits de 1851. Dessin où il campe l’archevêque de Paris muni d’un filet à papillon tentant de capturer l’âme du poète. Allusion à la controverse qui fait suite à l’offre de services de l’archevêque pour accompagner l’écrivain dans ses derniers instants, refusée par l’entourage de Hugo rappelant qu’il ne voulait être assisté par aucun prêtre d’aucun culte.
Pépin n’est-il pas aussi un précurseur de la bande dessinée lorsqu’il conçoit de courtes histoires contant avec humour les travers de ses contemporains sous forme de dessins en bandes, avec un récitatif placé au-dessous ? Ainsi dans « Histoires pour rire » dont la bibliothèque de notre société conserve un exemplaire.
L’un des peintres de Barbizon et de Crozant, Gabriel Mathieu, est témoin à son mariage à Moulins en juin 1869. Car Pépin fréquente les groupes d’artistes et peint lui aussi : paysages du Bourbonnais, de la Puisaye et du vieux Montmartre. Il est toutefois difficile de voir ses œuvres, dispersées dans des collections particulières.
Vers 1900, il aurait exposé à Moulins un tableau représentant la place de l’hôtel de ville de Moulins traversée par le convoi des internés du 2 décembre 1851. Qu’est devenu ce tableau ? Existe-t-il encore ? Si oui, il constituerait un rare témoignage iconographique de la répression qui fit suite au coup d’État de 1851 en Bourbonnais. Si un lecteur du présent billet a quelques informations sur ce tableau (ou sur d’autres), qu’il n’hésite pas à nous en faire part !
Jean-Luc Galland