À Paris, à quelques pas de Notre Dame, au 10 de la rue Chanoinesse, au-dessus du porche, le texte d’une plaque vous intriguera peut-être : « Pierre Trimouillat, chansonnier humoriste, né en 1858 à Moulins, habita cette maison de 1890 à 1929 ». Plaque posée un jour de fête nationale, le 14 juillet 1932, après avis favorable du conseil municipal de Paris, et dont toute la presse nationale se fit alors l’écho ! Qui est donc Pierre Trimouillat, ce fils d’un relieur moulinois de la place de l’ancien palais, ainsi honoré en 1932 et bien oublié depuis.
Singulier et attachant personnage en vérité ! Le jour, il est un modeste employé de la mairie de Paris. Il déclare que cet emploi administratif « lui assure le matériel » après de difficiles premières années parisiennes où il vivait de petits travaux comptables glanés de-ci de-là.
Mais la nuit, le voici qui hante les scènes des caveaux et des cabarets de Montmartre et du Quartier Latin et son nom, dès la fin des années 1880, est connu de tout le Paris noctambule. « Ce curieux Trimouillat qui a profité de ce qu’il n’avait pas de voix pour se faire chanteur, le jour où il découvrit qu’ayant beaucoup de talent il se ferait chansonnier » écrit à son propos Caribert en 1894. Le Figaro le décrit quant à lui ainsi en 1929 dans sa nécrologie : « C’était un petit bonhomme sec et nerveux, aux cheveux noirs bouclés, à la moustache de chat qui ressemblait un peu à un samouraï évadé d’une estampe d’Hokusai »
À ses débuts dans les années 1880, il est en contact avec Théodore de Banville (à qui il consacre un texte d’hommage en 1923 « Ballade Moulinoise à Banville ») et il se produit dans les goguettes parisiennes. Ses textes sont publiés dans la revue La Plume. Mais c’est à Montmartre, au Chat Noir, qu’il rencontre la renommée avec « Le monologue du bègue », « L’argent » ou « À mon septième ». Ses textes sont repris par les principaux interprètes de l’époque dont Yvette Guilbert qui lui doit quelques-uns de ses succès. Francine Lorée-Privas résume ainsi l’esprit et le ton des textes de Trimouillat : « c’était un satiriste bienveillant, il ne blesse pas, il effleure, il égratigne »
En 1893, il lance avec Xavier Privas les « soirées du Procope » dans le célèbre café du même nom. C’est au Procope qu’en octobre 1894 il organise une soirée destinée à renflouer la bourse d’un Paul Verlaine sans le sou. Le lien entre Trimouillat et Verlaine ne cessera pas jusqu’à la disparition du poète : « Paul Verlaine vient ainsi entre deux villégiatures à l’hospice Broussais se délasser au Procope…Trimouillat le console de Broussais, Broussais le repose de Trimouillat » écrit A.Brisson en 1895.
Au tournant du siècle il se retire progressivement de la scène mais demeure actif au sein des sociétés de chansonniers parisiens. La TSF, dans les années 1920, lui donne une nouvelle audience car ses chansons et monologues figurent régulièrement au programme de soirées radiodiffusées. C’est en ces années qu’il renoue avec ses racines bourbonnaises. Il publie ainsi un texte émouvant d’hommage à son maître d’école moulinois, Joseph Hans, directeur de l’école d’enseignement mutuel de Moulins (qui était située dans un bâtiment derrière l’actuel palais de justice).
Il rencontre l’écrivain paysan Émile Guillaumin et découvre avec surprise que celui-ci chantonne ses textes ! Guillaumin, qui le décrit comme « un homme timide, doux et fin », considère qu’il n’a pas rencontré tout le succès mérité car « trop subtil, trop idéaliste peut être, incapable aussi de démarches opportunes ou de compromissions ». Propos qui rejoignent ceux de Charles de Rouvre saluant la mémoire de Trimouillat « On n’aurait pas idée de mettre à l’Institut un petit moineau de Paris. Ceux-là qui chantent librement quand ça leur plaît, comme ça leur plaît, ne sont point fait pour les honneurs officiels. Vous avez accompli votre destin en vous en allant sans bruit, sans fanfare, tout simplement, comme les petits moineaux… »
En mémoire de ce drôle de piaf dont Teulet affirmait en 1895 que « né à Moulins en 1858 il était tout naturellement destiné à les combattre ! » ne demeurent en 2022 qu’une plaque rue Chanoinesse à Paris et à Moulins un recueil de ses textes à la bibliothèque de la SEB !
Jean-Luc Galland