Le dimanche 18 février 1872, en fin de matinée, au hameau de La Pran, à Boucé, les voisines d’Etienne et Marie Crozat s’étonnent de trouver leurs volets toujours clos. N’obtenant pas de réponses à leurs appels, elles décident de pénétrer dans la maison et y découvrent, horrifiées, les corps des deux sexagénaires atrocement mutilés. Ils ont été assassinés à coups de hache : le mobile du crime semble être le vol puisque la maison a été fouillée et que le porte-monnaie d’Etienne, qu’il tenait toujours attaché à la poche de sa veste, a disparu.
L’enquête conduit à l’arrestation de Blaise Roudier, l’ancien métayer du couple qui avait été congédié quelque temps auparavant en raison d’une querelle avec un autre employé des Crozat. L’homme n’avoue pas et aucune preuve matérielle n’est retrouvée mais les témoignages l’accablent : Blaise Roudier est un homme taciturne dont la situation matérielle s’est dégradée depuis son départ de chez les Crozat avec lesquels il est resté “en froid”. Cependant, après six mois d’enquête, la justice se rend à l’évidence : aucune charge valable ne peut être retenue et Blaise Roudier est innocenté et libéré. Mais alors, qui a tué les époux Crozat ?
Quelques mois plus tard, dans la nuit du 15 au 16 juin 1873, Charles Rambert et son épouse, Gilberte, ainsi que leur petite-fille âgée de 10 ans, Marie, dorment à poings fermés dans leur ferme isolée située à Quénard, au bord du Redan, à Saint-Gérand-le-Puy. Vers deux heures du matin, quelqu’un frappe à la porte et appelle à l’aide. Le couple Rambert reconnaît la voix de celui que tout le monde appelle ironiquement “le marchand de vaches” suite à un vol commis quelques années auparavant : Blaise Rondepierre. Charles se lève, suivi de son épouse, et ouvre la porte. Un coup de feu retentit alors et Charles referme la porte précipitamment mais il est trop tard : Gilberte a été touchée en plein visage et meurt sur le coup.
La petite Marie témoigna du drame que son grand-père et elle ont vécu : « je dormais lorsque je fus bruyamment réveillée par un coup de fusil qui semblait tiré dans la chambre. Je ne vis pas mon grand-père fermer la porte, mais j’aperçus lorsqu’il eut rallumé la petite lampe, le corps de ma grand-mère étendue au milieu de la chambre. Il m’a semblé qu’elle a remué pendant deux ou trois minutes. Mon grand-père était très effrayé. Il est monté cinq fois au grenier et criait “A l’assassin ! A l’assassin ! »
Blaise Rondepierre, nommément désigné par Charles Rambert, est arrêté dès le lendemain et malgré ses dénégations, les preuves s’accumulent. Outre le témoignage formel des victimes, les gendarmes relèvent des traces de sabots correspondant à ceux portés par Blaise, partant de la ferme de Quénard et suivant le cours du Redan en direction de son domicile. On découvre également chez lui l’almanach d’où proviennent les feuillets arrachés ayant servi à bourrer l’arme à feu et dont les débris ont été découverts sur la scène de crime… et le porte-monnaie d’Etienne Crozat ! L’épouse de Blaise, qui avait couvert son mari lors de ses premières déclarations, finit par craquer et avouer que son époux était rentré au milieu de la nuit, armé de son fusil qu’il avait remis discrètement à l’endroit où l’ont trouvé les gendarmes. Accablée, elle déclara au juge : « je suis bien malheureuse d’être la femme d’un pareil homme. Il faut être bien canaille pour faire ce qu’il a fait. Si on lui coupe la tête, il n’aura que ce qu’il mérite ».
Né en 1843 à Varennes-sur-Tèche. Blaise Rondepierre vécut à l’âge de 3 ans un double drame : la mort à la naissance de ses deux frères jumeaux, suivie six mois plus tard de celle de sa mère. L’instabilité semble dès lors caractériser son parcours et plusieurs éléments révélés au cours de l’enquête laissent deviner le caractère sombre et inquiétant de ce jeune homme qui triche et vole, y compris sa propre famille, pour finir par commettre l’irréparable, avec une violence extrême et sans aucun remords. Outre le vol de la vache qui lui avait valu son surnom et deux mois de prison, son demi-frère l’accusa de lui avoir volé de l’argent. Le père d’une prétendante déclara également avoir refusé son consentement au mariage de sa fille avec Blaise car ce dernier “jouissait d’une mauvaise réputation”, étant soupçonné de voler ses patrons et de tromper ses camarades quand il jouait aux cartes avec eux. Une habitante de Rongères, quant à elle, expliqua qu’un soir, alors qu’il faisait nuit, Blaise Rondepierre avait tiré un coup de fusil à sa porte avant de chercher à l’ouvrir, prétendant ensuite qu’il avait simplement cherché à lui faire peur…
Le 31 octobre 1873, après un bref procès tant les preuves sont accablantes, Blaise Rondepierre est condamné à mort par la cour d’assises de l’Allier pour le triple assassinat des époux Crozat et de Gilberte Rambert. Il est guillotiné sur la place aux foires de Varennes-sur-Allier le 11 décembre suivant, en présence d’une foule énorme. Il avait 36 ans et laissa une femme et trois enfants : Gilbert, 4 ans ; Alexis, 2 ans et Antoinette, 1 an. Des victimes, elles aussi, qui ont dû porter toute leur vie le poids de ce drame.
Aurélie Duchézeau